Alfred Dreyfus

Alfred Dreyfus a vécu 10 mois à Orléans, à la fin de sa carrière militaire © AFP - Bridgeman

Alfred Dreyfus est mort il y a 90 ans. Des voix s'élèvent pour qu'une rue ou un lieu public à Orléans porte son nom, d'autant qu'Alfred Dreyfus a vécu pendant quelques mois à Orléans : c'est là qu'il a achevé sa carrière militaire. Une pétition sera lancée en septembre.

Le 12 juillet 1935 décédait Alfred Dreyfus. Accusé à tort de trahison, condamné à la déportation en Guyane et à la dégradation militaire, le tout sur fond d'antisémitisme, il est réhabilité en 1906, après un long processus : c'est ce qu'on appelle "l'affaire Dreyfus". Ce qu'on sait moins, c'est qu'après sa réintégration dans l'armée, Alfred Dreyfus a été mobilisé pendant la Première Guerre mondiale, et que c'est à Orléans qu'il a accompli sa toute dernière mission, au parc d'artillerie. Un passé jamais évoqué officiellement dans la ville, et cet oubli interpelle.

Dix mois à Orléans : une période importante pour Alfred Dreyfus

C'est le 9 avril 1918 qu'Alfred Dreyfus arrive à Orléans, il a alors 58 ans, et il est nommé commandant du dépôt du parc d'artillerie de la 5e région militaire. Sa mission consiste à gérer les ateliers de réparation du matériel militaire. "Alfred Dreyfus est en fait atteint par la limite d'âge pour combattre au front, rembobine l'historien orléanais Georges Joumas, auteur de "Alfred Dreyfus, officier en 14-18" (Editions Regain de lecture). Il a combattu au Chemin des Dames et dans les Flandres, et il découvre à Orléans un travail très lourd, très pesant, qui l'oblige à des déplacements permanents puisqu'il gère aussi les nombreuses annexes qui dépendent d'Orléans, notamment à Blois, Gien, Fontainebleau." On ne sait pas précisément où il loge pendant cette période, qui se poursuit jusqu'à la fin de sa carrière militaire le 25 janvier 1919. "Il écrit juste qu'il a eu du mal à trouver une chambre, car de nombreux réfugiés civils logent alors à Orléans", précise Georges Joumas.

Dreyfus 1919

Alfred Dreyfus (5ème en partant de la droite) en septembre 1919 lors de la cérémonie aux Invalides à Paris où il devient officier de la Légion d'honneur © Maxppp - Agence Rol

Alfred Dreyfus n'a alors que peu de contacts avec les Orléanais, sauf bien sûr avec la centaine d'ouvriers et d'ouvrières qui travaillent sous ses ordres. "Ce sont des civils, qui l'honorent lorsqu'il est promu lieutenant-colonel le 25 septembre 1918, avec un bouquet de fleurs et la remise d'une médaille représentant un coq gaulois terrassant l'ennemi allemand", raconte Georges Joumas. Ce passage d'Alfred Dreyfus à Orléans ne dure certes que dix mois, mais ils sont très importants aux yeux de l'historien orléanais : "Là, il exerce vraiment en tant que militaire, et Alfred Dreyfus c'est un militaire dans l'âme. Surtout, il était foncièrement patriote et pour lui, naturellement, faire la guerre de 14-18 était primordiale. Par rapport à tout ce dont il avait été accusé, c'est un symbole très puissant."

"Une anomalie orléanaise"

Dans ces conditions, il est étonnant qu'Orléans n'ait jamais rendu hommage à Alfred Dreyfus. "C'est une anomalie, tranche même Ghislaine Kounowski, conseillère municipale d'opposition socialiste à Orléans, qui est intervenue en conseil municipal en juin dernier sur cette question. On voit que tout le processus de réhabilitation continue, puisqu'il y a eu un vote à l'Assemblée nationale qui élève Alfred Drefyus au grade de général de brigade à titre posthume (NDLR : le Sénat n'a toutefois pas encore validé le texte). Et à Orléans, où il a vécu, toujours rien ! Et je dis bien : "toujours rien", car le maire d'Orléans Serge Grouard a déjà été interpellé plusieurs fois à ce sujet." En 2006, à l'occasion du centenaire de la réhabilitation, Jean-Pierre Sueur, alors élu dans l'opposition, avait posé une question orale ; d'autres élus ont fait de même en 2008 puis en 2010, sans succès. "On a l'impression qu'il y a une mémoire sélective à Orléans", regrette Ghislaine Kounowski.

Dreyfus Mulhouse

La statue d'Alfred Dreyfus à Mulhouse, sa ville natale © Maxppp - Darek Szuster

C'est d'autant plus regrettable que ce serait pour Orléans l'occasion de tourner une page bien sombre : la ville fut en effet une place forte de l'antidreyfusisme en province. "Le 8 janvier 1899, une grande manifestation antisémite, anti-Zola et anti-Dreyfus avait rassemblé 5 000 personnes sur la place de la mairie et le parvis de la cathédrale, rappelle Georges Joumas. Les magasins juifs de la ville avaient été attaqués, ainsi que le domicile du président de la Ligue des droits de l'homme, le Docteur Halmagrand." Il y a des rues Alfred Dreyfus dans une vingtaine de villes en France, dont Bourges où Alfred Dreyfus a aussi passé quelques mois (mais avant que n'éclate l'Affaire). La LICRA (Ligue contre le racisme et l'antisémitisme) dans le Loiret lancera une pétition à la rentrée de septembre pour qu'Orléans fasse de même : "Alfred Dreyfus incarne les valeurs de justice et de tolérance si chères à la LICRA", justifie Joëlle Gellert, présidente départementale de l'association.  François Guéroult