Le journaliste orléanais raconte dans son ouvrage l’arrivée de la main-d’œuvre immigrée dans les années 1950 et 1960 puis les difficultés quand l’emploi s’est fait plus rare, après 1973.

Durant les Trente Glorieuses, les besoins de main-d’œuvre sont tels que des recruteurs écument les campagnes du Maghreb, accordant leur préférence aux non francophones, dont ils estiment qu’ils seront « plus dociles ». Le flux concerne aussi de très nombreux Portugais qui fuient tant la misère que la dictature.

Régis GuyotatAncien journaliste du , Régis Guyotat a aussi pris une part active aux cours d’alphabétisation dispensés par l’association Accueil et Promotion. © Droits réservés

Le logement, un problème majeur

Entre 1950 et 1960, deux millions de travailleurs immigrés arrivent ainsi en France, contrat de travail en main : soit, estime Régis Guyotat, ancien journaliste au Monde et auteur de L’homme au passe-montagne , plus de 25.000 personnes dans le Loiret.

Paradoxe : le flux de ces travailleurs, les uns employés dans le bâtiment ou les travaux publics, les autres dans l’industrie ou le maraîchage, demeure imperceptible dans l’espace public : « On les voyait très rarement dans le centre-ville. Parfois on les croisait près des bords de Loire : ils venaient au marché des halles. »

Le logement, déjà bien difficile d’accès pour les Français, l’est encore plus pour les étrangers. À eux donc « les baraques », dont celles de l’île de Corse ou de la place Saint-Charles, au sud la Loire. À eux aussi les très sommaires et très surveillés Algeco mis à disposition sur le site de Concyr, à Saint-Cyr-en-Val, par les entreprises de travaux publics qui construisent le quartier de La Source. À eux encore les sordides meublés de la Charpenterie, de Saint-Marceau ou de la Barrière Saint-Marc : venus seuls, bien souvent avec le projet de retourner au pays quelques années plus tard, les hommes s’y entassent, pour le plus grand profit des marchands de sommeil.

Les liens avec les Français sont extrêmement ténus. « À Orléans, il y a eu deux associations qui sont allées vers eux : Accueil et promotion et l’Association de soutien aux travailleurs immigrés. Elles ont d’abord dispensé des cours d’alphabétisation : Accueil et promotion a ouvert une trentaine de cours un peu partout dans le Loiret. »

Dans un second temps, des liens s’établiront par le biais des syndicats : en 1972, la fonderie Sifa vivra ainsi une grève pour la première fois initiée par les travailleurs immigrés.

La crise économique des années 1970

Reste que les occasions de se croiser sont si rares que la très grande majorité des Orléanais ignore tout de ces hommes qui œuvrent à édifier les structures qui propulseront leur pays dans une nouvelle ère. Ce sont les chocs pétroliers de la première moitié de la décennie 1970 qui feront évoluer la configuration. L’économie ralentit, les contrats de travail ne sont plus renouvelés, les menaces d’expulsion planent : c’est sur le plan juridique que les associations s’efforcent désormais d’apporter de l’aide.

La crise du logement commence, au reste, à enfin se résorber : deux foyers, l’un à la Mouchetière, à Saint-Jean-de-la-Ruelle, l’autre à l’île de Corse, hébergent leurs premiers locataires. D’autres travailleurs font venir leur famille : c’est le temps du regroupement familial, qui très souvent va de pair avec l’emménagement dans les « grands ensembles ». Le temps de l’invisibilité est cette fois-ci révolu.

1972 signe aussi l’entrée en scène, bien qu’encore discrète, du Front national. Le chômage menace, le climat social se tend. En 1975, à Malesherbes, en pleine nuit, une fusillade éclate tout près d’un bâtiment où sont hébergés une dizaine de travailleurs : on compte un mort et un blessé grave. En 1977, c’est à Gien qu’un père de famille maghrébin est assassiné.

À lire pour se souvenir de ce que la France doit à la main-d’œuvre immigrée !

Pratique. L’homme au passe-montagne. Être immigré à Orléans durant les Trente Glorieuses. Éditions Corsaire, collection Regain de lecture. 18 €.

Sylvie BLANCHET