Être immigré à Orléans durant les “Trente Glorieuses”. C’est le sous titre de l’ouvrage du journaliste orléanais Régis Guyotat L’Homme au passe-montagne. Un livre dans lequel il raconte l’arrivée et le parcours de vie compliqué de ces migrants, dans le Loiret. Une thématique plus que jamais d’actualité.
Régis Guyotat
Évidemment, Régis Guyotat, ancien correspondant du journal Le Monde pour notre région ne pouvait pas prévoir que son livre sortirait en pleine confusion politique avec le RN aux portes du pouvoir. Mais cette coïncidence renforce la pertinence de son travail. Car si le thème de l’immigration agite nos campagnes électorales depuis des décennies, le parcours singulier et difficile de ces étrangers venus dans les années 60 et 70, rappelons-le, la plupart du temps à la demande de la France, lui, est très peu raconté. Car le but visé alors est d’obtenir une main-d’oeuvre bon marché et docile.
S.D : Régis Guyotat, pourquoi ce titre L’Homme au passe-montagne ?
Régis Guyotat : J’ai choisi ce titre parce que dans les années 60 à 80, il faisait encore froid chez nous et que le couvre-chef des hommes était le passe-montagne. Sa fonction était double. Il servait de casquette l’été tandis que la version cagoule permettait d’affronter les frimas.
Est-ce aussi une façon de montrer l’immigré en tant que personne car votre livre veut être une histoire non pas chiffrée mais humaine de l’immigration ?
Oui, je tiens à cette qualification parce que la plupart des ouvrages publiés actuellement sur ce thème sont rédigés à base de statistiques. Or, les immigrés ne sont pas des statistiques. Ce sont avant tout des êtres humains pour lesquels l’immigration est une épreuve très souvent douloureuse. Car il y a plusieurs raisons à l’exil. Évidemment pour des raisons politiques. C’est aussi parce qu’il n’y a pas de travail dans le pays d’origine et qu’il faut bien nourrir sa famille. Mais également parce que la guerre n’est pas loin.
Ou parce que l’on vous fait venir…
Oui, même si l’on ne peut pas parler d’immigration forcée. Dans les années 60 et 70, on avait besoin de personnes pour reconstruire la France. Et l’État français est allé les chercher là où il savait trouver une main-d’oeuvre moins exigeante que la nôtre et bon marché. Ainsi dans les décennies 50 et 60, deux millions d’étrangers sont venus en France, essentiellement des Portugais, des Marocains et des Algériens. On préférait même qu’ils ne parlent pas français !
Dans l’agglomération orléanaise, ce sont 20 à 30000 migrants qui sont ainsi arrivés. Pour construire le nouveau quartier d’Orléans-la-Source, pour effectuer les travaux pénibles dans les usines notamment à la fonderie La Sifa (fermée en février 2023, NDLR) et enfin pour travailler chez les maraîchers.
Et l’on apprend grâce à vous que les employeurs sont tenus de loger ces migrants
Oui, mais ils le font plus ou moins bien et parfois pas du tout. Ce qui ne les empêchent nullement de percevoir un loyer même pour des logements indignes. Ces migrants étaient aussi bien sûr la proie des marchands de sommeil, notamment dans le centre-ville d’Orléans où beaucoup de maisons et d’immeubles étaient encore insalubres.
Ce qui vous fait dire que les “Trente Glorieuses” ne l’ont pas été pour tout le monde…
Oui par ce qu’en fait il n’y a jamais eu de véritable politique d’accueil de la France vis-à-vis de ces migrants. On a toujours considéré que l’intégration se ferait par l’école. Or, ce sont des adultes qui arrivent. Les choses ont commencé à changer lors du regroupement familial.
Des citoyens ont-ils toutefois tendu la main à ces migrants ?
Oui, à Orléans par exemple. Très vite des personnes plutôt de gauche se sont émues des conditions de vie de ces étrangers. Notamment dans le bidonville de l’Île-de-Corse, situé le long de la Loire à Saint-Jean-le-Blanc et qui était le plus visible. D’où la création de l’association Accueil et Promotion qui faisait de l’alphabétisation et aidait comme elle pouvait ces personnes.
Alors, si l’on fait un parallèle avec la situation actuelle, le racisme s’exprimait ouvertement ces années-là mais pas dans les urnes, pourquoi ?
En fait, l’immigration n’est pas encore un problème. Mais bien sûr ça ne va pas durer. Et à mesure que le Front National, créé en 1972, progresse, la machine politique du FN se met en route. C’est à ce moment-là que le discours totalement négatif sur l’immigration se propage dans la population. Par le biais aussi du journal d’extrême-droite Minute qui se vend à des centaines de milliers d’exemplaires et fait déjà des dégâts électoraux considérables. Ce à quoi il faut ajouter que depuis les années 70 chaque gouvernement, de droite comme de gauche fabrique sa propre loi anti-immigration.
L’immigration reste selon vous le vrai fonds de commerce du RN ?
Oui. C’est son ADN avec la haine de l’autre et le rejet de l’étranger qui se déclinent avec la préférence nationale. Cela reste son carburant même si le RN le met moins en avant aujourd’hui. Je ne sais pas si l’on peut faire un parallèle entre les années 30 et aujourd’hui. On a coutume de dire que l’histoire ne se répète jamais mais là elle bégaye.