Les célébrations du 11 Novembre sont bien sûr l’occasion d’honorer les soldats tombés au front au cours de la guerre 14-18. Toutefois certains ont été « fusillés pour l’exemple » par l’armée française notamment en 1917. Une page sombre et peu connue de notre histoire à laquelle l’ historien orléanais Georges Joumas vient de consacrer un livre.

Georges Joumas, historien orléanais

Après s’être intéressé en 2018 au devenir du capitaine Dreyfus après l’affaire avec ” Alfred Dreyfus Citoyen ” , l’Orléanais Georges Joumas, Docteur en histoire contemporaine et spécialiste de la Troisième République retrace dans ce nouvel ouvrage le parcours de deux jeunes “poilus” de la Grande Guerre, René-Louis Brunet et Emile Buat afin de les sortir de l’anonymat et surtout de les “réhabiliter ” en racontant leur courage sur le champ de bataille et pourtant fusillées en 1917 ” pour l’exemple “. Ce livre dénonce une justice de classe, expéditive face à des hommes qui ont subi l’horreur des batailles meurtrières face à l’ennemi ( Verdun, Le Chemin des Dames,) et l’enfer de la vie dans les tranchées.  Une  guerre à laquelle de nombreux  jeunes hommes étaient partis ” la fleur au fusil ” et qu’ils espéraient terminée avant Noël 1914…avant de voir leurs illusions et leur moral s’effondrer de longs mois plus tard. Mais le pire restait à venir pour ceux qui devaient tomber en 1917 sous les balles françaises des poteaux d’exécution. 

S.D: Comment avez-vous eu connaissance de ces deux « fusillés pour l’exemple » René-Louis Brunet et Emile Buat ? pourquoi avez vous décidé d’en faire un livre ?

Georges Joumas: ” C’est un ami historien, Guy Marival, grand spécialiste de la bataille du Chemin des Dames et de la Chanson de Craonne, qui m’a informé qu’un soldat du Loiret, René-Louis Brunet, avait été condamné à mort et fusillé dans des conditions particukièrement scandaleuses. J’ai donc commencé une recherche et je me suis aperçu que son sort était lié à celui d’un poilu de la Marne, Emile Buat. J’ai décidé d’en faire un livre pour analyser le fonctionnement d’un conseil de guerre en 14-18, cette justice expéditive et inhumaine qui envoie des soldats au poteau d’exécution. “

S.D: Estimez que ce sujet des mutineries et des fusillés de 1917 est encore tabou aujourd’hui ?

G.J : ” Depuis les commémorations du Centenaire de la Grande Guerre, le sujet est moins tabou, les archives se sont ouvertes et les recherches se sont multipliées. L’opinion publique a nettement évolué et considère de plus en plus ces fusillés comme des victimes. “

S.D: Pourquoi ont-ils été à votre avis poursuivis eux spécifiquement alors que d’autres soldats étaient présents à ces réunions ?

G.J : ” Ils ont pris la parole au cours de deux réunions de soldats, demandant instammant à leurs camarades de ne pas sortir des tranchées en cas de nouvelle offensive suicidaire au Chemin des Dames et ils ont été dénoncés par des mouchards missionnés par les officiers du bataillon. “

S.D: Pourquoi le soldat Maurice Joly qui est inquiété en même temps que René-Louis Brunet et Emile Buat échappe-t-il, lui, à la peine de mort ?

G.J : ” C’était le plus jeune (mobilisé à 19 ans), et surtout, il avait un casier judiciaire vierge, contrairement à Brunet et à Buat qui avaient été condamnés comme civils à des peines légères pour des affaires très mineures. “

couverture du livre de Georges Joumas sur les fusillés de 1917

S.D : Pourquoi la peine de mort alors qu’il n’y a eu de la part de ces soldats aucun acte concret de désertion ou d’entente avec l’ennemi ?

G.J : ” En cette période de mutineries, ils sont les premiers soldats traduits en conseil de guerre. Au plus mauvais lieu : dans le Soissonnais, où le foyer de rébellion contre l’autorité militaire est le plus intense. Au plus mauvais moment : ils sont arrêtés le surlendemain de la visite dans la région du général Pétain, nouveau commandant en chef, qui , par une circulaire du 2 juin 1917, demande une accélération des procédures des conseils de guerre et des châtiments exemplaires. “

S.D : Pourquoi le Président de la République de l’époque  ( Raymond Poincaré) refuse-t-il de les grâcier alors que d’autres soldats l’ont été eux ?

G.J : ” Ils sont les premiers jugés et il faut faire un exemple fort pour désamorcer le processus des mutineries. “

S.D: Concernant les possibles réhabilitations au cas par cas, pourquoi selon vous les présidents Hollande et Macron n’ont pas saisi le prétexte du centenaire de la Première Guerre Mondiale pour faire avancer cette question comme c’est le cas en Angleterre depuis 2006 ?

G.J : ” L’Angleterre a effectivement réhabilité collectivement en 1906 ses 306 fusillés pour l’exemple. En France, les élus de la représentation nationale (présidents de la République, députés et sénateurs) n’ont pas eu ce courage politique, estimant qu’il n’y avait pas de consensus, et que, parmi les fusillés, il y avait aussi des traîtres et des criminels de droit commun. Faute de réhabilitation, reste la possibilité de faire inscrire ces soldats sur les monuments aux morts. Plus de 200 (sur 639) le sont déjà. Là, c’est le pouvoir des maires. Buat figure sur le monument de son village de la Marne. Brunet, à La Ferté-Saint-Aubin, non. “

On le comprend cette question de l’inscription de ces soldats fusillés sur les monuments reste très sensible comme le mentionne Antoine Prost dans la post-face du livre :

” La réhabilitation mémorielle reste ouverte. Les maires sont seuls juges des noms qu’ils inscrivent sur le monument aux morts de leur commune. Ceux de plus de 200 fusillés y sont déjà gravés. ” poursuivant ” Collectivement, il faut réintégrer les fusillés dans la mémoire nationale comme des soldats ordinaires qui ont eu un moment de faiblesse compréhensible et excusable, et qui ne méritaient pas leur fin tragique. C’est ce qu’a fait, à la demande du Président de la République (François Hollande), le Musée de l’Armée, ce haut-lieu symbolique.”

Sophie Deschamps