Le premier roman d'Yves Portier-Réthoré, La Table d'ardoise, se penchait sur la jeunesse de Silvère. L'Année des demoiselles commence des années plus tard avec l'enterrement de sa mère.
Se retrouvant à vivre seul avec son père, garde-forestier du domaine de La Rougellerie en Sologne, le jeune Silvère se replie sur lui-même, il investit une chambre dans le grenier, installe une photo de sa mère près de son lit, et il lui parle régulièrement. Aux murs de sa chambre, il accroche des posters de Salut les Copains, écoute des chansons Yéyé, regarde tous les soirs l'unique chaîne de télévision et il se passionne pour Intervilles et Salut les Copains.
    Monsieur et Madame, les Maîtres de la Rougellerie, dirigent d'une main paternaliste cette micro-société compassée et plutôt figée dans des traditions que Sylvère respecte profondément.
    En fait, ce mode de vie suranné est menacé par la modernité qui déferle de partout : télé, chanteurs adolescents, mœurs qui se débrident, premiers émois sexuels... Le roman met en place un clivage, qui, derrière une apparence paisible, conduit à une fin d'une grande sauvagerie.
 
    Sylvère a deux amies, Jacqueline et Glenllawouen, qui travaillent au château et qu'il ne voit que le soir. L'irruption d'un camp de scouts, venus s'installer là avec l'accord des Maîtres, attire Sylvère, fasciné par leur mode de vie au grand air. Il sympathise avec les moniteurs, ceux-ci lui font visiter le camp et l'intègrent sans façon à leurs jeux. Silvère qui connaît le domaine comme sa poche, devient leur guide.
    De leur côté, Jacqueline et Glenllawouen ne sont pas passées inaperçues des moniteurs qui leur rendent des visites galantes, provoquant la jalousie de Silvère, le jeu s'emballe...
    Sous cette chronique pèse un drame que l'auteur ne révèlera qu'à la toute fin, mais qui maintient en haleine le lecteur.
    Yves Portier-Réthoré développe avec une passion visible la description minutieuse des lieux et mœurs de l'époque, ici, pas de narration tendue, peu de suspense, quelques invraisemblances, au profit d'une profusion de tableaux de mœurs. Ainsi, la vie du domaine est l'occasion de décrire les rituels de la « Vie de château » qui semble imperméable au temps qui passe : organisation de chasse, nettoyage du château en l'absence des maîtres, battage du blé organisé sous l'égide du domaine, organisation de grandes réceptions, dont celle qui clôt tragiquement la fin, Yves Portier-Réthoré consacre une attention d'entomologiste à décrire cette société, qui, sous son apparence immuable, est en train de disparaître.
    Les signes de la modernité sont omniprésents. Tout d'abord, la chanson : nous sommes en pleine époque Yéyé et l'auteur s'est attaché à lier chaque chapitre avec un chanteur de l'époque : Claude François, Françoise Hardy... tous sont appelés à joindre leur voix aux tableaux décrivant la vie de Silvère et lui donnent une fragrance pleine de nostalgie.
    Une mention particulière concerne la télévision dont l'arrivée est récente. A l'époque, c'est la vénérable O.R.T.F. qui apporte les ondes et les émissions culte dans chaque foyer : à la revue Salut les Copains répond l'émission du même nom, avec des chansons en direct, jeux Intervilles, dramatiques télé avec Alice Sapritch : les émissions quotidiennes rythment les phases du récit. En bonus, à la fin du livre, un dossier avec photos des speakerines livre la documentation qu'Yves Portier-Réthoré a rassemblée pour citer la date exacte et le programme du jour, donnant même le nom du gagnant d'un jeu...
 
    Derrière ce portait d'adolescent, ces tableaux clivent la grande révolution des années 60 entre un monde finissant, imprégné des traditions de l'Ancien Régime et les changements sociaux majeurs qui s'opèrent dans ces années, dont certains semblent tout juste suggérés et feront peut-être l'objet d'un futur roman...