LE MOT DE VOTRE LIVRE

« Excusez-moi, est-ce que je peux avoir une petite place ? » Non, je vais me vautrer. M’étaler, m’exhiber. Ce n’est pas tous les jours que l’on est une nouveauté.

Aujourd’hui, je vais m’installer, confortablement, sur l’étagère d’un rayon. Je vais prendre mes quartiers dans les librairies. Je vais sentir l’odeur du libraire, son après-rasage le matin quand il s’approchera d’un geste encore endormi et que son doigt chatouillera chacun de nous pour s’arrêter sur l’élu. Je sentirai son odeur, le soir, plus musquée, quand la journée aura fait défiler les clients, les lecteurs et les curieux.
On se regardera les yeux dans les yeux avec le lecteur, puis je sentirai sa main me caresser, me saisir, m’examiner, sa bouche esquisser un sourire, et je me retrouverai sur le comptoir, aveuglé du rayon rouge qui s’appuiera sur mon dos, assourdi du cliquetis de la caisse enregistreuse, affiché à l’écran – moi qui n’aime pas l’ordinateur, ça me fait mal aux yeux.

Je vais aussi visiter les bas-fonds, d’abord sur les lignes des bordereaux de commande, puis dans l’arrière-boutique où je serai un stock. Un stock à renouveler.
Et me voilà à nouveau au milieu de la boutique. J’accueille le lecteur. Je suis une nouveauté intéressante, un jeune auteur à découvrir, prometteur. On me saisit. J’ai l’impression d’être un petit pain en boulangerie. Au milieu, c’est bien, mais je n’ai pas trop le temps de voir le lecteur. Je pourrais être là, comme un objet exhibé, mais je suis un choix, un coup de cœur, une action commerciale pour certains. 13,10 €, mais 13,10 € multipliés par les tas au milieu de la boutique et additionnés aux stocks d’arrière-boutique, ça vous remplit un tiroir-caisse quand le soir vous baissez le rideau de la vitrine.

C’est curieux d’être en vitrine. On regarde tout le monde, ceux qui sont bien habillés, ceux qui ne savent pas harmoniser les couleurs, ceux qui courent, ceux qui flânent, ceux qui s’arrêtent, ceux qui promènent leur regard derrière la vitre. Ils hésitent, avancent, reculent, accrochent leurs yeux sur mon titre. Celle-ci se sent concernée, c’est une « affaires de femmes », celui-là aussi, c’est un « … pas seulement ». Ils entrent et je les rencontre plus loin au milieu des nouveautés. Celui-ci note, pour se souvenir. C’est un curieux, pressé, qui reviendra. À moins qu’on ne se retrouve plus tôt que prévu en tête de gondole.

La tête de gondole, ça a quelque chose de l’abandon. On est déposé, ordonné le matin quand le magasin est encore vide. Et puis, tout à coup, des mains qui palpent, qui ouvrent, ferment, posent, mélangent. C’est plus fatigant que la librairie. Toute la journée dans la musique, au milieu des promos jambon – Chinon.

Encore différent est le point relais du hall de gare. À peine sorti que me voilà dans le TGV. Tout le monde me regarde car tout le monde aime savoir ce que lit son voisin. C’est sûrement intéressant et sympathique puisqu’il le lit dans le train. C’est sûr, je sens que je vais faire le voyage retour avec la dame d’en face, surtout qu’elle vient de lui demander : « C’est bien ? C’est nouveau ? Vous permettez ? Ah ! je ne connaissais pas, ça a l’air sympa. »
J’ai presque envie de l’accompagner au point relais à l’arrivée, mais je sais qu’après sa réunion, elle va se souvenir de moi et, qu’éreintée, elle va m’attraper puis se jeter dans son fauteuil de première et se détendre en ma compagnie.
Elle va sourire. Elle va décider de l’offrir à sa sœur, à une amie.
On va parler de moi, s’enquérir d’une suite.
Et un jour, immanquablement, dans la cohue du métro, je vais lever les yeux sur Affaires de femmes… Je vais me pencher pour deviner, entre les doigts du lecteur, mon nom…
« Vous aimez ? oserai-je
– Oui.
– C’est moi qui l’ai écrit. »
Et nous voilà devant une tasse de thé dans un troquet proche de la station suivante pour une rencontre impromptue.

Et puis il y a toi, toi qui me tiens en ce moment. Est-ce que tu es la dame d’en face ou son voisin ? Je suis ravi de te rencontrer. Je suis ravi que tu voyages dans mes pages, que tu t’émerveilles des paysages, que tu ries de mes histoires, que tu t’émeuves au fil de tes souvenirs.