Bercé par l’épopée gaulliste dans sa jeunesse, journaliste emblématique de l’ORTF, Michel Anfrol a été, de 1994 jusqu’à son décès en 2019, le président des Amis de la fondation Charles De Gaulle. C‘est au détour des couloirs de cet institut, rue de Solférino, que les deux auteurs de cet ouvrage, Hélène et Julien Brando, ont pu le rencontrer et faire germer l’idée d’un long entretien revenant sur le parcours de sa vie.

Les éditions Regain de Lecture propose ainsi un témoignage captivant sur la vie d’un homme qui a traversé la seconde moitié du XXe siècle et qui se livre à bâtons rompus, jouissant d’une liberté de ton plaisante et agréable à la lecture.

Michel Anfrol : gaulliste depuis ses neuf ans

Michel Anfrol (de son vrai nom Michel Katchoura) a entendu le nom du général De Gaulle pour la toute première fois au détour d’une rue d’Agen, en août 1940, les crieurs de la presse annonçant sa condamnation à mort. Issu d’une famille qui se rallia à l’homme de Londres au cours du conflit, mais sans lui demeurer fidèle dans l’après-guerre, Michel Anfrol a progressivement nourri et développé son admiration pour le général. Celle-ci plonge dans ses souvenirs des combats pour la libération de Paris et la descente des Champs, les articles de presse lus au dessus de l’épaule paternelle et aux discussions avec ses camarades de lycée.

C’est à ses 15 ans qu’il adhère au RPF et se lance dans le militantisme. Un militantisme dévorant et de plus en plus prenant. Repéré, il grade dans l’appareil des jeunes du RPF, nouant des amitiés longues (Jean Tibéri notamment, qui postface l’ouvrage) et engrangeant des anecdotes savoureuses (notamment sur le jeune Le Pen passé par les rangs du RPF, c’était avant la guerre d’Algérie et la fondation du FN avec des anciens de l’OAS !). 

Sa famille désapprouve son engagement qui l’éloigne de ses études, qu’il mène pourtant à leur terme. Le couperet paternel tombe : Michel doit s’exiler en Catalogne durant l’été 1952. De son exil il continue à écrire pour la revue du RPF sous pseudo. Michel Anfrol est né. A la sortie des études Michel Anfrol embrasse la voie journalistique et entre à Europe 1 comme stagiaire.

L’aventure du RPF périclite. L’espoir du retour de De Gaulle s’éloigne de plus en plus. Peu à peu le parti gaulliste perd de son lustre. En 1953 De Gaulle libère le parti de son allégeance envers lui. Un à un les barons quittent le navire. Michel Anfrol désapprouve puis rejoint ses camarades militants en 1957 chez les Républicains sociaux. 

Journaliste à L’ORTF le jour, militant la nuit

Michel Anfrol n’a jamais fait secret de son engagement gaulliste. Au retour de De Gaulle celui-ci constate avec une amertume non dissimulée à la fois la forte opinion anti-gaulliste du monde journalistique mais aussi l’hypocrisie de nombreux collègues qui suivront le sens du vent. 

A la suite du référendum de 1958 nait un nouveau parti gaulliste : l’UNR. Michel Anfrol est de nouveau contacté pour entrer dans la campagne qui s’ouvre. Celui-ci répond présent. Traversant la France il œuvrera pour la victoire du parti et l’acquisition d’une majorité absolue avec le soutien des parlementaires du MRP. Entre-temps Michel Anfrol a quitté Europe 1 pour entrer au service du journal Voici pourquoi puis, en parallèle, à la RTF à partir de 1961. Il sera envoyé en Algérie couvrir le conflit. Il en reviendra partagé sur l’issu de la guerre, regrettant personnellement que le projet gaulliste consistant à conserver pour la France le Sahara, qu’il décrit comme acquis à la République et vide de partisans du FLN, ne soit pas retenu.  

Au cours des années de la présidence De Gaulle Michel Anfrol fut plusieurs fois témoins de l’action politique et géopolitique du général, dont il se fait au cours de ces pages l’écho et le zélateur. L’admiration du journaliste transparait et celui-ci rappelle, par de nombreuses anecdotes (lors des obsèques d’Eisenhower De Gaulle capta toute l’attention lors du banquet organisé par Nixon à la Maison Blanche), l’admiration du monde pour le résistant et celui qui « avait tenu tête aux Etats-Unis » (page 113). Le hasard voulu que Michel Anfrol soit chargé d’annoncer au journal de l’ORTF la démission du général De Gaulle à la suite de sa défaite au référendum sur la régionalisation et la réforme du Sénat. 

Mai 1968 : la rupture

Michel Anfrol revient longuement dans ces pages sur les évènements de mai 1968 et la mise en grève des journalistes de l’ORTF. Bien que conscient des dysfonctionnements énormes dans la machinerie de la télévision d’Etat (Michel Anfrol revient en détail sur les difficultés financières des correspondants à l’étranger et les calculs d’épiciers pour économiser quelques francs, au détriment du travail et des conditions de vie des journalistes sur place) et les raisons légitimes de se mettre en grève, celui-ci refuse de rejoindre le mouvement car il perçoit la manoeuvre politique sous-jacente. Cette prise de position lui vaudra la désapprobation d’une grande partie de ses collègues qui refusèrent par la suite de lui adresser la parole et de travailler avec lui. Après le départ de De Gaulle et l’élection de Pompidou, ayant eu la chance de commenter l’alunissage d’Amstrong et Aldrin, Michel Anfrol est renvoyé de l’ORTF par le nouveau premier ministre, Jacques Chaban Delmas

 

Un journaliste gaulliste aux Amériques

Michel Anfrol continua sa carrière journalistique et fut correspondant aux Etats-Unis d’Amérique et en Argentine. De ces longs voyages il revint avec une connaissance fine des sociétés dans lesquelles il avait pu se plonger. Michel Anfrol évoque tour à tour la politique économique des américains, la campagne de 1976 qu’il a couvert et sur la très bonne impression que lui fit le gouverneur californien Reagan, la montée du populisme et de Trump dont la victoire ne fut pas une surprise pour lui. 

A la suite de la guerre des Malouines Michel Anfrol prit la direction de l’Argentine dont il tomba sous le charme. Couvrant les évènements sportifs du continent entre autres il pu également découvrir et connaitre le monde d’Amérique latine. 

« Puisque tout recommence toujours, ce que j’ai fait sera tôt ou tard une source d’ardeurs nouvelles »

La retraite acquise, Michel Anfrol continua son engagement gaulliste sous une autre forme. Celui qui s’était toujours refusé depuis les années 1960 à adhérer au moindre parti, pour garder sa liberté de ton (ce que plusieurs gaullistes lui reprocheront), s’engage dans la préservation du message gaullien via l’association des Amis de la fondation Charles De Gaulle. 

Le gaullisme est pour lui la préservation de l’indépendance nationale (page 237). Michel Anfrol œuvra ainsi à nourrir ce souvenir auprès de la population et à aider à la production de travaux scientifiques sur le gaullisme. Les dernières pages de l’ouvrage reviennent sur sa présidence et les souvenirs marquants de cette période qui prit fin avec son décès en 2019.

Eclairage passionnant sur le dernier siècle, fruit d’un échange long et fructueux, l’ouvrage d’Hélène et Julien Branco nous offre à découvrir un homme passionné, dont la vie a été bouleversée par la figure du général. Un livre-témoignage que nous vous conseillons de lire !