UNE RÉVOLUTION EN HÉRITAGE, La politique sociale de Charles de Gaulle

Alain Kerhervé, préface de Michel Anfrol   Regain de lecture

Olivier Germain Thomas avait, un jour, posé la seule question qui vaille : « de Gaulle a-t-il seulement retardé la déchéance de la France ou a-t-il prouvé que la rencontre de circonstances et d’un homme pouvait à tout moment lui redonner son visage ? ».

Alain Kerhervé, dans ce livre consacré à la politique sociale de Charles de Gaulle, répond à cette interrogation, par l’affirmation que tout reste possible, pour l’avenir, à condition d’avoir compris que l’œuvre du Général de Gaulle, sur le plan social mais pas seulement, a été un mouvement de fond, toujours d’actualité, bouleversant tous les conservatismes et répondant, très largement, aux attentes des Français. Nous avons aujourd’hui cet héritage entre nos mains, qu’il est donc possible de faire revivre et fructifier, à la seule condition d’en avoir la volonté.

La première raison qui explique l’importance et la permanence de cette œuvre inachevée, c’est que la préoccupation sociale et humaniste a toujours été le centre de gravité de la pensée et de l’action du Général de Gaulle. Alain Kerhervé le démontre, avec pédagogie, de façon chronologique et factuelle. On retrouve, dans son livre, le jeune officier, d’avant-guerre, marqué par la doctrine sociale de l’Église, aux antipodes des palinodies maurrassiennes ; le chef de la France Libre déclarant en novembre 1941, à Oxford, que face à un monde mécanisé, uniforme et conformiste, il fallait prendre le parti de la libération, seule voie permettant « d’assurer, en définitive, le triomphe de l’esprit sur la matière » ; l’homme qui, non seulement, valide mais commence à mettre en application le programme du Conseil National de la Résistance avant son départ précipité, face à la réapparition du « régime exclusif des partis », le 20 janvier 1946. C’est aussi l’histoire du R.P.F et de l’Action Ouvrière affrontant durement le Parti Communiste qui entend asseoir sa mainmise sur le monde ouvrier et syndical. Viendra ensuite, en 1958, après « le retour aux affaires », l’affirmation d’une doctrine sociale dont la mise en œuvre est rendue possible par le redressement économique de la France : Protection familiale, émancipation des femmes (qui peuvent enfin ouvrir un compte en banque ou travailler sans le consentement de leur mari !) renforcement des droits des travailleurs, grâce à la Participation dont l’objectif essentiel, l’intégration de tous les personnels dans la vie économique et sociale de l’entreprise, sera finalement bloqué par l’alliance inattendue du patronat et de la plupart des syndicats… L’échec du référendum de 1969 engagera ensuite la France dans un tout autre chemin, même si le sillon tracé par les dix premières années de la cinquième République ne pourra être totalement effacé…         

La seconde raison qui explique l’importance de la politique sociale léguée par le Général de Gaulle, c’est qu’il a toujours été l’homme du mouvement et non celui du repli derrière toutes les lignes Maginot que ses adversaires se sont, en permanence, ingéniés à construire… À l’image de la société, sa politique sociale était dynamique, bousculant, souvent, bien des idées reçues. N’évoquera-t-il pas, en juin 1968, la « marée d’incompréhensions, de griefs et quelquefois de fureurs » qu’il avait dû subir, chaque fois qu’il avait agi en « révolutionnaire » ! Ainsi, la proposition de loi Neuwirth sur la légalisation de la pilule avait, initialement, suscité ses réticences (il ne faut pas « sacrifier la France à la bagatelle » !) mais il comprend que cette mesure est dans la continuité du droit de vote qu’il avait accordé aux femmes, après la Libération, et il soutient alors, avec vigueur, le député… Autre exemple, son combat pour la Participation s’explique aussi par son refus constant des doctrines figées dont la lutte des classes est la meilleure illustration. N’avait-il pas prédit, suscitant l’incrédulité générale, que l’U.R.S.S n’aurait qu’un temps face à la Russie éternelle !

Il faut, enfin, souligner que l’ouvrage d’Alain Kerhervé est enrichi de nombreuses annexes mettant en perspective un travail documentaire approfondi sur cet aspect méconnu de l’œuvre du général de Gaulle. 

  Alain HARTOG, Directeur de la collection Ve République