Professeurs de lettres, amoureux de la lecture, ils sont nombreux à  passer de l’autre côté du miroir. Carole Martinez, Annie Ernaux, Céline Lapertot, Marie-Hélène Lafon, Philippe Humbert, Laurent Binet, Philippe Claudel, Daniel Pennac, autant de conteurs, de passionnés qui enseignent ou ont enseigné en collège et lycée. La langue, la littérature sont leurs éléments. Leur sens de la narration, de l’oralité se ressent à lecture de leurs romans.

Franck Bellucci a captivé de nombreux élèves au lycée d’Ingre, une petite commune de l’orléanais. Il est aujourd’hui enseignant à l’université d’Orléans, il joue et met en scène des pièces de théâtre. Un ouvrage universitaire sur Victor Hugo, un essai, un récit, un recueil de nouvelles, des pièces de théâtre, Un homme à l’étroit est son second roman, dans lequel il joue avec les citations de ses auteurs classiques et contemporains préférés. Victor Hugo, bien évidemment mais aussi Blaise Pascal, Albert Camus, Albert Cohen mais aussi Philippe Forest, Antoine Bello…et surtout David Foenkinos dont le roman Vers la beauté semble l’avoir beaucoup marqué.

Il y a d’ailleurs dans l’histoire de Bernard Pinel, anti-héros de Un homme à l’étroit, quelque chose du personnage de La tête de l’emploi ( un Bernard lui aussi).

Franck Bellucci utilise ici le registre de la comédie, prend un ton ironique et léger pour nous raconter l’histoire de ce professeur de lettres, métier choisi plus par hasard que par passion, homme médiocre de corps et d’esprit dont la vie fut bouleversée par l’incendie d’un Monoprix.

De ce drame qui bouscule sa petite vie bien rangée naît la plus belle chose qui puisse lui arriver, ne plus avoir peur des sentiments. Aurélie, la nouvelle caissière (enfin, l’hôtesse d’accueil et de ventes) du nouveau magasin, le charme immédiatement par sa beauté, sa politesse et sa douceur. En allant vers la beauté d’Aurélie, Bernard sort de sa médiocrité.

«  Sans le savoir, la petite caissière participait à l’éducation et à l’émancipation du professeur de collège. »

Lui, qui lisait par obligation, sans rien retenir ni ressentir, se plonge dans la lecture pour partager avec la jeune caissière. Vers la beauté de David Foenkinos, Belle du seigneur d’Albert Cohen sont les lectures qui les réunissent. Il ressent enfin des émotions, positives quand Aurélie lui sourit, dépressives quand elle l’ignore ou s’absente. Sa santé mentale et physique suit le rythme de ses relations platoniques et parfois imaginaires avec Aurélie. 

De professeur apathique, il devient parfois visionnaire. Du personnage au style vestimentaire vieillot, il devient élégant et raffiné pour le plus grand bonheur du principal qui en tombe amoureux. 

En homme de théâtre, Franck Bellucci fait de formidables mises en scène, notamment quand Bernard invente des soirées avec Aurélie. Il y a du vaudeville dans les rapports entre les personnages, dont la psychologie est souvent bien sentie. 

Mais surtout, il y a cette faculté à insérer au bon moment la citation adéquate d’un auteur, qui, on le perçoit, a marqué le professeur de littérature. J’ai passé un excellent moment avec Bernard Pinel qui, sous les yeux de son auteur porte un regard ironique sur le monde de l’enseignement et une adoration de la lecture qui ne peut que me toucher.

«  Parce qu’il se disait qu’il trouverait peut-être un jour le livre qui lui ferait comprendre ce qui lui échappait. »

Un auteur local que je vous invite à découvrir.