S’il est parfois des livres courts qui vous en apprennent plus que des “pavés” d’histoire, c’est bien le cas de ce “Dreyfus citoyen” présenté par son auteur, Georges Joumas, ce jeudi soir à la librairie des Temps Modernes à Orléans. Car ce” Dreyfus citoyen” nous décrit le Dreyfus de l’après Affaire, de son retour en 1906 de l’Ile du Diable où il vient de passer six ans dans les pires conditions à la déclaration de guerre d’aout 1914 pour laquelle il se réengage comme officier malgré son age (55 ans) et son amitié avec le pacifiste Jaurès que l’on vient d’assassiner.

Car les livres d’histoire nous laissent croire que l’Affaire se termine avec la grâce obtenue par l’accusé le plus célèbre de l’histoire de France et sa réintégration dans l’armée comme officier dans son grade d’origine, il y a pourtant un oubli de taille dans la loi de réhabilitation de Dreyfus qui ne prend pas en compte ses douze années passées en détention, brisant sa carrière d’officier. Ses démarches au plus haut niveau, y compris auprès de Clémenceau, pourtant dreyfusard de la première heure, ne lui permettront pas d’obtenir complète réparation et le conduiront à la démission de l’armée en 1907.

Le transfert des cendres de Zolan au Panthéon

Redevenu simple citoyen, Dreyfus n’échappera pas non plus à l’antisémitisme à son égard d’une droite d’autant plus virulente qu’elle ne veut pas s’avouer vaincue dans cette affaire, avec les agressions à répétition notamment des Camelots du Roi diligentés par l’action Française de Maurras, jusqu’à cette tentative d’assassinat au revolver dans le cortège même du transfert des cendres de son ami Zola au Panthéon, tentative dont l’auteur sera acquitté dans une parodie de procès d’assises. Il y a aussi ce reproche récurrent de Clémenceau ou de Péguy, jusqu’au-boutistes de la cause, qui soulignent le manque de courage de Dreyfus qui accepta la grâce plutôt que d’exiger un incertain troisième Conseil de Guerre, confortant ainsi l’image insidieuse du juif soumis.

Des conférence à la Ligue des Droits de l’Homme

Et pourtant, l’officier de réserve Alfred Dreyfus retrouve le cercle des amis qui l’ont soutenu, notamment en fréquentant le salon de  la “marquise rouge” (Marie Arconati-Visconti) avec laquelle il entretiendra une longue correspondance et qui tous les jeudis réunit de nombreuses personnalités politiques progressistes et anticléricales. Il milite à la Ligue des Droits de l’Homme pour laquelle il prononce des conférences pour défendre un syndicalisme nécessaire au progrès social et sa correspondance révèle aussi une lucidité toute militaire quant au colonialisme français au Maroc.

S’il s’apparente ainsi plutôt à une gauche modérée, Alfred Dreyfus n’hésite pas à prendre parti publiquement notamment en signant des pétitions pour défendre le doit syndical et dénoncer une répression souvent féroce des grévistes, y compris quand il s’agit de procès m’étant en cause l’armée

C’est ainsi toute une société qui est dévoilée par le livre de Georges Doumas, juste avant qu’elle ne bascule dans la tragédie de la guerre, mais dont beaucoup d’aspects politiques réapparaitront finalement assez peu modifiés à l’issue ce qui devait être “la der des der”… Alfred Dreyfus cessera alors toute activité publique disparaissant dans l’anonymat de l’entre deux guerres.

Gérard Poitou